Les cris du jour ou l'écrit du jour ? C'est peut-être le texte de la semaine (et pourquoi pas de l'année ?!!!!)
directement sorti de mon inspiration poétique, où chacun est libre de traverser la frontière entre fiction et réalité...
Bonnes lectures !

dimanche 6 septembre 2020

Aller simple

C’était au bout de la route
c’était au bord du monde
après c’était l’inconnu
après c’était infini
fallait pas avoir peur de se salir les mains
fallait pas avoir peur d’embrasser le vide
y avait pas de phare
des récifs acérés comme des sourires de banquier
aucune chance
même avec une bonne néoprène
le mieux c’était de plonger à poil
tu gueules un bon coup
tu fermes les yeux
et tu y vas
pas la peine de compter les arbres qui défilent
tu dévales plein tube
lancé comme une balle
tu verrouilles la cible
le but est simple
aller au bout
sans revenir
tu raconteras à ceux qui auront réussi à traverser
les autres restent sur place
les autres tombent comme des mouches
les autres se noient
les autres leur marchent sur la tète
les autres abandonnent
on verra bien qui arrive de l’autre coté
on verra bien qui a gardé le cap
on verra bien qui a franchi
on verra bien qui est debout
peut-être pas toi

D’un coup on a
d’un coup on a
d’un coup
t’as qu’à voir
d’un coup
alors on s’penche comme ça
d’un coup on avance à tâtons
d’un coup on a
d’un coup on a
des petits bouts de verre dans les yeux
mais on s’en fout on est en vie
alors on avance
en rampant c’est mieux
d’un coup on a
d’un coup
le vent se met à insulter tout le monde
d’un coup
comme t’es seul tu finis par le prendre pour toi
les autres sont devant
peut-être
derrière
ou pas
d’un coup c’est vide et tu tombes
ça n’en finit pas
tu tombes tu tombes tu tombes
tu tombes
tu tombes
tu tombes
sérieux
t’y crois pas
mais tu tombes tu tombes tu tombes
tu t’demandes
c’est quoi c’truc
t’as jamais eu le vertige
mais là quand même c’est abusé
alors tu t’mets en boule
comme ça
tu penses très fort que t’es un œuf
un œuf dur
avec la coquille et tout
t’as vu un reportage qui disait que les œufs durs ça rebondit quand ça tombe de haut et ça s’écrase pas
et tu tombes tu tombes tu tombes
en boule
t’es un œuf
et paf
tu touches le fond
en œuf dur
avec la coquille et tout
l’œuf dit ouf
un truc de dingue
si t’avais pris la forme d’une balle de ping-pong c’était mort
t’aurais fini en omelette
alors tu cries de joie
forcément
mais pas longtemps
parce que ça fait trop de bruit dans la coquille
et là t’es comme une poule qu’a trouvé un couteau
en boule dans ton œuf
coincé
t’as beau essayer
tu bouges pas

Ah non moi non
moi j’ai pas
moi ch’sais pas
moi j’ai senti comme
comme un
comme une
ça faisait
ça tirait
ça poussait
j’avais pas envie
mais j’avais pas l’choix
c’était malgré moi
et à la fin
après plein de
et de
j’ai rien compris
ch’suis arrivée là

Tous des branques
on voit bien que vous z’êtes que des amateurs
vous autres les moins que rien
z’avez rien dans le buffet
faut prendre le taureau par les cornes
tu le regardes dans les yeux
tu l’affrontes
tu le défies
tu lui montres qui qu’est le maitre
tu le vides de son sang
tu lui coupes les oreilles et la queue
et tu lui bouffes les cojones

C’qui faut pas entendre
on est pas nombreux à traverser
et on est obligé de se farcir des balourds pareil
j’vais vous dire moi comment ça s’passe
tu sens le vide
il t’appelle
tu déploies tes ailes
tu planes
qu’il pleuve qu’il vente qu’il neige
t’avances coûte que coûte
et à la fin tu te poses
comme une fleur à la poste
de toute façon c’est pas la chute qui compte
c’est le moyen d’y arriver

 

                                                    Le saut dans le vide / Yves Klein