Les cris du jour ou l'écrit du jour ? C'est peut-être le texte de la semaine (et pourquoi pas de l'année ?!!!!)
directement sorti de mon inspiration poétique, où chacun est libre de traverser la frontière entre fiction et réalité...
Bonnes lectures !

samedi 26 septembre 2020

Demain des vies

Demain je voudrais filtrer les peaux de vies rugueuses
ne plus grimacer face à leur astringence
Demain je voudrais laisser couler la pulpe des grains ronds de la vie
je laisserais mon corps se tordre et refluer les piquants à l’issue de combats grinçants
Demain je voudrais déguster des vins juteux
des cascades de jus généreux
des vies de splendeurs
des vies lumineuses
Demain je voudrais flirter avec des vies sens dessus dessous
des vies sans dessous
des vies nues
des vies libres
des vie vives
des vies va

 



Texte produit au cours d’un atelier animé par Giss Pinel lors du festival Ma Parole à Crest, inspiré entre autres d’un texte de Lola Lafon.

dimanche 6 septembre 2020

Aller simple

C’était au bout de la route
c’était au bord du monde
après c’était l’inconnu
après c’était infini
fallait pas avoir peur de se salir les mains
fallait pas avoir peur d’embrasser le vide
y avait pas de phare
des récifs acérés comme des sourires de banquier
aucune chance
même avec une bonne néoprène
le mieux c’était de plonger à poil
tu gueules un bon coup
tu fermes les yeux
et tu y vas
pas la peine de compter les arbres qui défilent
tu dévales plein tube
lancé comme une balle
tu verrouilles la cible
le but est simple
aller au bout
sans revenir
tu raconteras à ceux qui auront réussi à traverser
les autres restent sur place
les autres tombent comme des mouches
les autres se noient
les autres leur marchent sur la tète
les autres abandonnent
on verra bien qui arrive de l’autre coté
on verra bien qui a gardé le cap
on verra bien qui a franchi
on verra bien qui est debout
peut-être pas toi

D’un coup on a
d’un coup on a
d’un coup
t’as qu’à voir
d’un coup
alors on s’penche comme ça
d’un coup on avance à tâtons
d’un coup on a
d’un coup on a
des petits bouts de verre dans les yeux
mais on s’en fout on est en vie
alors on avance
en rampant c’est mieux
d’un coup on a
d’un coup
le vent se met à insulter tout le monde
d’un coup
comme t’es seul tu finis par le prendre pour toi
les autres sont devant
peut-être
derrière
ou pas
d’un coup c’est vide et tu tombes
ça n’en finit pas
tu tombes tu tombes tu tombes
tu tombes
tu tombes
tu tombes
sérieux
t’y crois pas
mais tu tombes tu tombes tu tombes
tu t’demandes
c’est quoi c’truc
t’as jamais eu le vertige
mais là quand même c’est abusé
alors tu t’mets en boule
comme ça
tu penses très fort que t’es un œuf
un œuf dur
avec la coquille et tout
t’as vu un reportage qui disait que les œufs durs ça rebondit quand ça tombe de haut et ça s’écrase pas
et tu tombes tu tombes tu tombes
en boule
t’es un œuf
et paf
tu touches le fond
en œuf dur
avec la coquille et tout
l’œuf dit ouf
un truc de dingue
si t’avais pris la forme d’une balle de ping-pong c’était mort
t’aurais fini en omelette
alors tu cries de joie
forcément
mais pas longtemps
parce que ça fait trop de bruit dans la coquille
et là t’es comme une poule qu’a trouvé un couteau
en boule dans ton œuf
coincé
t’as beau essayer
tu bouges pas

Ah non moi non
moi j’ai pas
moi ch’sais pas
moi j’ai senti comme
comme un
comme une
ça faisait
ça tirait
ça poussait
j’avais pas envie
mais j’avais pas l’choix
c’était malgré moi
et à la fin
après plein de
et de
j’ai rien compris
ch’suis arrivée là

Tous des branques
on voit bien que vous z’êtes que des amateurs
vous autres les moins que rien
z’avez rien dans le buffet
faut prendre le taureau par les cornes
tu le regardes dans les yeux
tu l’affrontes
tu le défies
tu lui montres qui qu’est le maitre
tu le vides de son sang
tu lui coupes les oreilles et la queue
et tu lui bouffes les cojones

C’qui faut pas entendre
on est pas nombreux à traverser
et on est obligé de se farcir des balourds pareil
j’vais vous dire moi comment ça s’passe
tu sens le vide
il t’appelle
tu déploies tes ailes
tu planes
qu’il pleuve qu’il vente qu’il neige
t’avances coûte que coûte
et à la fin tu te poses
comme une fleur à la poste
de toute façon c’est pas la chute qui compte
c’est le moyen d’y arriver

 

                                                    Le saut dans le vide / Yves Klein

samedi 5 septembre 2020

Un corps de rêve

Si je pouvais être dans la peau d’un autre
mieux
plus
différent
je ne voudrais pas être esclave
je ne voudrais pas être femme battue
je ne voudrais pas être président
je ne voudrais pas être ouvrier spécialisé
je ne voudrais pas être dentiste ni assureur
je ne voudrais pas être
et puis il y a ce grincement au fond de la gorge
je ne voudrais pas être une porte cochère
je ne voudrais pas être un réfrigérateur
ou alors pour de bonnes raisons
je ne voudrais pas être un homme de seconde main
je ne voudrais pas être une plante à tout faire
je ne voudrais pas être un rhume des foins
je ne voudrais pas être un yoyo ballotté au gré des courants
je ne voudrais pas être un tas de muscles sans cervelle
je ne voudrais pas être une pierre sans âme
je ne voudrais pas être une émission de radio en boucle
je ne voudrais pas être un courant d’air
ou alors juste pour

Non mais vous nous voyez
des hommes alignés comme des côtes de bœuf
c’est pas parce qu’on met des femmes en vente sur les bords des routes et ailleurs
un peu de dignité bordel
en attendant j’absorbe
je ne voudrais pas être une éponge
un buvard à la rigueur
mais pas de ceux qui parlent trop
je ne voudrais pas couvrir les craquements d’articulations qui nous guettent
je ne voudrais pas vieillir sans avoir aimé
je ne voudrais pas mourir sans entendre une dernière fois On my shoulders de The Dø
comme si rien d’autre n’avait d’importance
je ne voudrais pas être una bella ragazza
je ne voudrais pas être un tigre en cage
je ne voudrais pas être un gratte ciel au ras des pâquerettes
à moins d’avoir un ascenseur en verre
je ne voudrais pas être un suppôt de Satan
je ne voudrais pas être un évier bouché
je ne voudrais pas être un ongle incarné
je ne voudrais pas être une plage déserte
je préfèrerais être né du bon coté de la frontière
de bonne cylindrée
avec un plumage coloré
des pouvoirs magiques
la bouche pleine
des rêves dans les poches
un ami sur qui compter
des kilomètres de vie sans âge
et pourquoi pas un petit pied à terre en bord de mer

Ah voilà
je voudrais être une cabane dans une forêt profonde
connue de quelques uns et unes
qui de temps à autres consolideraient mes planches
je m’en fous d’être vermoulu
tant que je peux regarder tomber la pluie
et le soleil sécher son petit linge
au pire si je tombe en ruine
je me réincarnerai en jaguar
je marquerai mon territoire de mes effluves
et je trainerai mes taches dans les camaïeux sauvages
le monde pourra bien dire ce qu’il veut
mon existence sera aussi brillante que celle que je mènerais en d’autres circonstances
ni mieux
ni plus
juste différente

vendredi 4 septembre 2020

Prescription surréaliste [ quoique ]

La contorsion du wiz dans le zag
consiste en une altération temporelle
réduite à de vagues sursauts spiralés
ce phénomène lié à de sourdes vibrations parallèles
survient immanquablement entre la douzième et la treizième minute de chaque heure perdue

Les premières observations sont souvent aléatoires voire fortuites
la dégradation du système paralimbohydrique ne manque pas en général d’alerter les praticiens même débutants

À l’issue de l’examen le patient est déclaré bon pour la casse surtout s’il clame son innocence
dans la majorité des cas une diagonale subtilement prescrite suffirait à débarrasser le malheureux de sa défaillance
mais l’opération étant très couteuse
et extrêmement risquée il faut le reconnaitre
la société ne s’encombre pas d’esprits contorsionnistes

Leur élimination est donc convenue discrète et sans douleur
et si d’aventure des contrevenants venaient à se plaindre de leur sort
la menace d’abattre le troupeau règle la question et les récalcitrants rentrent dans le rang

Un simple zest de bergamote
survolé par des oies sauvages
suffit à mettre fin à l’existence d’un individu
légèrement atteint

Pour les plus coriaces
le dimorphisme du zigue de l’Oise
rappelle aux accros qui passent leur temps hors des sentiers battus
qu’il pourrait leur arriver des histoires s’ils continuent à jouer les fortes tètes
en se tenant debout sur une patte
pour singer les migrateurs
et que s’ils refusent de mettre leurs palmes
pour traverser les clous
ça va finir pas leur casser trois pattes
et comme aime à le répéter mon ami Vladimir
si tu gazes pas chaud
c’est pas une raison pour bouffer ta soupe froide
dans ta case à Tchoques

Quant au fakir
il préfère danser sur des charbons ardents
que de se saouler à l’ouzo avec une gueuze
à moins qu’il n’ait la loose et s’isole
sur un ilot sans lit
tant qu’il ne s’enlise pas vers Douz
alors qu’il voulait Ouarzazate
et mourir

Quoi qu’il en soit le zigue finit enfin finalement en toise
que les oiseaux le survolent
ou pas
avec ou sans adresse
la voie administrative reste inchangée
aérienne bien sûr
quoique
l’intramusculaire reste possible
tant que le condamné accepte de se retrousser les manches
après tout il en va de l’équilibre du monde
si tout allait à vau l’eau
les plombs sauteraient en gaz et nous laisseraient in the mouise

Jusque là

Fort heureusement
vous n’avez rien à craindre
vous avez bien lu
jusque là

mercredi 2 septembre 2020

Tranche de vide

Au large des côtes de l’angoisse
la vie a une sorte d’angle mort
de fines blattes chuchotent les murs
écoutent aux portes
complotent avec les parquets
en désordre
dans le noir avide
les heures défilent
imperturbables
gluantes

Les solitaires ne connaissent pas leur chance
se passer d’un manque envahissant est un art filandreux
malgré un sens de l’orientation affuté
le sort perd les navigateurs les plus aguerris
destin piégeux
comment rester sourd à ses appels à l’envi

Les corps s’enlianent
à la recherche d’une écorce
qui ne bougerait pas trop
qui ne prendrait pas feu
qui les laisserait pousser sans heurt
ils lui apporteraient quelques parfums de poèmes
pour apprendre à lui dire je t’aime
leurs cœurs s’envoleraient
sans crier gare
ou pas trop fort
pour ne pas faire sursauter les trains
ils les suivraient en cliquetant des pattes
en désordre
sans se soucier de l’angle mort

La tragédie ne vaut rien
la vie l’emporte