Les cris du jour ou l'écrit du jour ? C'est peut-être le texte de la semaine (et pourquoi pas de l'année ?!!!!)
directement sorti de mon inspiration poétique, où chacun est libre de traverser la frontière entre fiction et réalité...
Bonnes lectures !

vendredi 24 avril 2020

L’instant tanné

L’instant frise le vide
déambule au bord du précipice
à un cheveu du décollage ou de la chute

Sans lutter contre les incertitudes
l’instant plonge dans le cauchemar
navigue en eaux saumâtres
la vue embuée de pellicules gluantes

La porte a claqué
les clés sont à l’intérieur
pas de retour possible
canapé et pantoufles restent au chaud
il faut avancer coûte que coûte

Risques d’orages sur tout le parcours
l’épreuve sera une calamité
pourtant c’est un défi d’enfant
les éclairs seront des chatouilles
le déluge un postillon

Seul un enfant est capable de relever le gant
l’instant va se frotter à la bravade
l’instant va se faire tanner le cuir
l’instant va connaitre le goût de la poussière
l’instant va craquer au premier round
vaincu par ko

Adulte passe ton chemin
tu ne peux rien pour l’instant ni contre
monte sur le ring et tu seras expulsé à travers les cordes
aucun doute
tu finiras avec tes rêves aux oubliettes

Seul un enfant croit suffisamment
pour agir sur l’instant
l’enfant n’a pas conscience de tuer le temps
en dehors de l’enfance point de salut
l’instant te tue

Tente de te jouer de l’instant
tente de te faire passer pour plus petit que toi
plus petit que plus petit
plus petit que plus petit encore
insignifiant même
l’instant te repère

Tente de détourner son attention
tente la patience
tente la fuite
rien n’empêche les iris de faner

Toute ta vie tu cours après l’inaccessible
ton enfance perdue
ton pouvoir sur l’instant
l’instant court sur le fil
l’enfant le coupe
qu’est-ce qui reste

vendredi 17 avril 2020

Haut les masques

Le confinement t’en as plein les dents
malgré la brosse à reluire
ça t’empêche de sourire
à t’en péter l’email
alors tu te tailles
pas les veines
ce serait pas de bol
trop décevant de lui laisser la part belle

Pis tu penses à ceux qui en meurent
à ceux qui les soignent
tu te dis que pour eux
faut pas craquer
tu leur dédicaces tes petites évasions
tu ravales ta colère
tu te passes la langue sur les molaires
tant pis si ça colle
faut vivre avec

Pis on s’en fout si tu souris pas
ça dérange qui si tu grises mine derrière ton masque
l’avantage de ce connard de virus
c’est de nous donner de vraies bonnes raisons de nous plaindre
ça réveille nos bas instincts
on voit finalement très bien même masqués
nos fragilités nous explosent à la figure
on ne peut rien se cacher
enfin on peut accéder à un peu plus de sincérité

Tu fais la gueule aujourd’hui
ouais j’en ai ma claque de rester enfermé
plein les basques de ces masques
ras le ponpon de ces tiens bon
ras la cafetière des nananères
et maintenant qu’on a applaudi ceux qu’on avait laissé tombé depuis si longtemps
on pourrait applaudir ceux qui d’habitude nous soignent autrement

S’il vous plaît les théâtres salles de concerts médiathèques MJC cinémas musées
ouvrez vos portes
faites tomber vos murs
sortez vos artistes
vos jongleurs
vos danseuses de tous poils
mettez vos livres dehors
sur les troncs vos tableaux
sur les façades vos projos
avec ou sans sono
les instruments dans la rue
sous nos fenêtres

À vos masques
approchez troubadours
approchez approchez
promis nous garderons nos distances
venez nous jouer la sérénade
danser la sarabande
déclamer de la poésie
racontez-nous des histoires
faites-nous rêver

Nous remplirons vos chapeaux
sortez de vos jolies vidéos
offrez-nous de nouveau votre spectacle vivant
du beau du bon du bio
nous vous couvrirons de vivats et de bravos

mardi 14 avril 2020

Les caprices de l’humanité

L’humanité ne manque pas d’air
pendant que certains émettent leur dernier souffle
d’autres continuent de nous le pomper
l’humanité est un enfant gâté
qui n’a pas l’habitude qu’on lui dise non
pendant longtemps
tout a été à dispo
tout à dispo
tout à dispo
soudain
tout a disparu

Le temps était là
l’espace la santé la famille les amis l’amour la joie
l’argent même
bien sûr pas pour tous
certains plus que d’autres
depuis le début
tout à dispo
tout à dispo
et pfffuit
tout a disparu

Alors l’humanité gâtée crie et se roule par terre
tout à moi
tout à moi
chacun son yacht
chacun sa villa sur la côte
capricieux votre vulgarité confine à l’indécence
le partage égal est un leurre tant que certains en veulent plus
le partage équitable pourrait convenir si chacun prenait sa part
raisonnable
mais nous voulons toujours plus d’amour
plus de santé
plus de famille
plus de plus de plus de

L’humanité gâtée en demande toujours plus
l’humanité gâtée grandira quand elle aura appris à prendre le temps
à apprécier ce qu’elle a
à vivre avec ceux qui l’entourent
à se contenter
à partager
à aimer
sans rien attendre en retour
l’humanité grandira quand nous aurons accepté la métamorphose
tout à dispo
tout à dispose

Notre monde n’est pas une marchandose
nos corps ne sont pas des marchandises
la terre n’est pas notre esclave
l’humanité progressera quand nous cesserons de considérer que tout nous est dû
tout à dispo
tout à dispo
tout à dix pour cent oui

Je rêve que chacun mesure sa chance de vivre
que chacun reconnait la valeur de ce qui lui est offert
que chacun apprécie ce qu’il est
sans envier l’autre
sans passer son temps à compter ce qui lui manque
en prenant sa part sans en demander davantage
tout à dosage
tout à virage
tout à mirage

Alors la vie reprendra peut-être ses droits
les hommes apprendront peut-être à s’aimer
les adultes écouteront enfin les enfants
ils se laisseront apprivoiser
les anciens seront de nouveau traités dignement
l’humanité parlera aux arbres et aux dauphins
l’harmonie sera à portée de main
chacun cherchera encore à répondre à ses besoins vitaux
tout à gogo
tout de go
tout doit disparaitre

Chacun reconnaitra ses manques mais ne cherchera plus à les combler
en pillant son voisin
en violant la nature
en asservissant chaque plante et chaque créature
en s’acharnant à atteindre l’efficacité
tout à dispo
tout à l’égo
tout à l’égout

Alors seulement
la vie rependra son cours tranquille
comme avant
comme avant que notre surconsommation et nos dépendances ne viennent tout corrompre
en attendant commençons par dire non à l’enfant gâté
qu’il apprenne que tout ne lui est pas dû
tout à dispo
tout a disparu
tu as dit par où
tout est dit
tout est là
et je vais commencer par moi

dimanche 12 avril 2020

J’ai plongé dans la glycine

J’ai plongé dans la glycine
ça peut sembler facile
si ça l’était
nous serions plus nombreux
à brasser dans les parfums mauves
avec les abeilles

Il faisait nuit depuis longtemps
l’eau restait fraiche
malgré l’air épais
les pollens saturaient les filtres
à en brouiller la vue

Les coassements me parvenaient encore
les ondulations des anguilles lézardaient les murs
les grands arbres s’ouvraient à la lumière
je restais dans l’ombre

Le cœur de la pierre s’asséchait
ses battements sourds répondaient mal aux secousses du défibrillateur
le courant avait été coupé
seuls quelques spasmes réflexes
arythmaient ça et là
en direction de vains espoirs

Il faisait nuit depuis longtemps
mais une seule onde suffit
une courbe légère
un inattendu sourire vibrant
et la pierre se fendit

Le cours des choses revenait
fleurissant les rives d’aromes
annonçant des aurores paisibles
et des bains veloutés
l’aube se couvrait de lueurs pâles et soyeuses
puis revêtit ses atours de fête pour ouvrir le bal
ivre de danse elle me gardait dans ses bras
une île sans amarres
un frisson d’éternité

Enfin le jour se leva
comblé de lumière
enchanté de voix chaudes
les oiseaux les avaient précédées
j’avais oublié leur langue
j’avais oublié les paroles du lilas
la glycine me les rappela

Il faisait nuit depuis longtemps
je plongeai dans la glycine
le cœur vivant



vendredi 3 avril 2020

Tu ne sortiras point

Quand ils t’ont enfermé
tu as pensé qu’il y avait erreur
tu leur as dit que tu étais innocent
et les murs te l’ont répété
l’injustice t’a poignardé dans le dos
mais sachant que d’autres subissaient le même sort
et que certains étaient carrément mis à mort
tu as décidé de rester digne
oublié l’évasion
organisé l’incarcération
la feuille de route était tracée
tu tiendrais le temps que la sanction soit levée
d’autres ont bien été embastillés
ça ira ça ira ça ira

Tous dans le même cachot
chacun le sien
chacun chez soi
des millions de cellules sans contact
le corps dispersé
la fission solitaire
sensation similaire à cette première fois où tu vois une tombe se refermer
tu graves les jours sur la paroi du mitard
ne sachant pas quand tu pourras de nouveau sortir

embrasser ceux que tu aimes
oh bien sûr la cage est dorée
mieux que la santé
repas maison
promenade auto-autorisée
connexions téléphoniques électroniques énergétiques spirituelliques mais plus rien de physique
ta tête te répète d’arrêter de râler
alors tu te tais
tu t’élèves
change de point de vue ou crève
tu résilies résilies résilies
tu bailles
tu te laisses endormir
espérant que tu te réveilleras
content de constater que ce n’était qu’un cauchemar
mais tu n’as pas rêvé
la fiction est bien réelle
on t’a rogné les ailes
tu peux faire le beau du haut de ton pigeonnier
contente-toi de roucouler

Roucouler
reculer
c’est peut-être la nouvelle façon d’avancer
depuis que le printemps est arrivé
les aiguilles se sont arrêtées
pour certains définitivement
pour d’autres le non-stop les a remplacées
pour toi c’est le black-out
tu sais plus où t’en est
t’as tenté le yoga le yoyo les réseaux les skypéros les abdos en ligne et même ressorti ton banjo
mais tu sers à quoi coco

Les couleurs s’estompent
jusqu’ici elles gardaient leur éclat
les nuances vacillent
les notes s’affadissent
il était illusoire de penser
que la mémoire serait préservée
les souvenirs les plus précieux
les moments uniques
la bête les salit
ces cadeaux inestimables
ton cœur se recroqueville et les renie
cet éclat de sourire dans un scintillement marin
ces envols
ces atterrissages
tout s’aplatit
les pages de l’album brûlent joyeusement
et dans les cendres ne restent que des fleurs de souci

Adieu passé révolu
bienvenue esprit neuf
sans bagages
pour un voyage sans encombre
disparaissez vicieuses attaches
hors de ma vue
poudre aux yeux
qu’espérer encore de vos traîtres charmes
ne connaissez-vous que les plaisirs sadiques
comment vous reconnaitre au premier regard
pour ne plus subir vos basses manigances
j’aimerais vous broyer
pourtant je sais que vous êtes inébranlables
j’aimerais réduire votre haine en poudre
la diluer dans de l’huile ou de l’eau
et raviver les couleurs ternies
pas votre patine jalouse

Et voila que tu parles tout seul
en étalant sur les murs
ta confinementure
pour tenter de faire taire l’écho

N’oublie pas que
quand tu sortiras
rien n’aura changé

À part toi

jeudi 2 avril 2020

Je pèle

Depuis que je suis lézard
je desquame
ça me rapproche du bouleau
qui perd son écorce en lambeaux
ma peau s’effiloche
en pelures
quand elle tombe
il y a de l’écho
bye bye l’égo
le tronc finit à poil
nu comme une noix de coco

Ces cuticules qui s’éclipsent
rejoignent les petits bouts de bois secs
qui jonchent mes racines
et celles de mes semblables
sur les tapis de nos feuilles mortes

En dessous nous papotons
avec les champignons
et l’air de rien
nous aspirons
ce que la terre nous offre

Je sens la sève monter dans nos veines
ça glougloute dans nos tuyaux
ça remonte le long de mon dos
j’en frissonne de l’échine
ça frémit jusque dans mes branches
pointées haut
vers la lumière
quel bonheur de transformer la matière

Toutes nos feuilles applaudissent
on s’ébroue de plaisir
les petites peaux continuent de pleuvoir
oubliées les mesquineries
les turpitudes
la soupe à la grimace
les taches et les traces
la récolte de petit bois sera bonne
de quoi alimenter de grands feux de joie

Autour s’installent
les anciens
les amis
les fratries
c’est beau tous ces feux dans la nuit
les uns racontent des histoires
les autres chantent
tous perdent la mémoire
oublient les peaux perdues
ne conservent que l’essentiel

Ô éléments
Ô espace
Ô temps
dépecez-moi
que seule demeure
la flamme
que seule m’habille
la vie

mercredi 1 avril 2020

Dans le temps me dissoudre

Le jour où j’ai glissé dans le sablier
je n’ai pas réalisé immédiatement
dans quel engrenage je mettais les pieds
je ne me souciais pas plus de l’heure que de ma première aiguille
le fil m’emportait

Un temps je croyais le porter moi-même
mais bientôt je déchantais
je m’enfonçais dans le sable
sans savoir où cet engloutissement me mènerait

Heureux d’avoir pratiqué quelques heures d’apnée
je remontais parfois à la surface
pour reprendre souffle avant chaque descente
plongées en exploration
aux différents rythmes d’écoulement du sablier
 2/4 à la blanche
tranquille
 3/4 à la noire
au pas

au pas
 4/4 à la croche
au trot

au trot
au trot
 6/8 triolet
les pieds dans le tapis
le nez dans la plage
du sable plein les dents

Ne pas se laisser abattre
reprendre les gammes jusqu’au perfectionnement
la maîtrise était proche
c’était sans compter sur l’accélérateur de particules bien connu des explorateurs de sablier
aspiration vertigineuse
perte de repères
échec

Retour à la plage départ
craché à la surface
prêt à replonger
tentatives
espoirs
rechutes
same player shoot again
sûr que d’autres seraient plus agiles
mais l’extra balle est si temps-tente

À force
j’ai cru pouvoir déjouer les pièges du temps
passer entre les courants contraires
à travers mes torts
mais je me suis retrouvé dans l’entonnoir
aspiré dans le goulot d’étranglement
el flaquito est resté coincé un bon bout de temps
quasi étouffé
le corps aux arrêts

La comprenance a pris le relais
un peu de beurre et de contorsion
rien n’y faisait
une seule solution
s’égrainer
bingo
je suis passé
de l’autre coté
retour à la surface
reprise de souffle

Je pourrais continuer longtemps ce petit jeu
comme un poisson dans l’eau
me dissoudre
le sable est si doux sur mes écailles
et si j’apprenais plutôt à lézarder au soleil
j’en profiterais pour réguler mes temps-et-ratures