Les cris du jour ou l'écrit du jour ? C'est peut-être le texte de la semaine (et pourquoi pas de l'année ?!!!!)
directement sorti de mon inspiration poétique, où chacun est libre de traverser la frontière entre fiction et réalité...
Bonnes lectures !

dimanche 31 janvier 2021

Insatiable

Dedans se déroule un tapis coulant
inlassablement

Dehors bavardent les nuages les montagnes les arbres les usines et les oiseaux
le tapis coulant les reflète
inlassablement

De son œil indolent
il dédaigne toute chose

La nuit sa réflexion s’absente
seul son écho répond aux néons
émettant des sons pales et acidulés
quelques clapots
comme pour donner la réplique au flot continu de cette autoroute jumelle
que jamais il ne croise vraiment
mais qu’il entend
cette autre artère

Au-dessus un grand vol a remonté le courant aujourd’hui
à basse altitude
mais suffisamment haut pour ne pas se faire happer par un silure géant
car sous le tapis coulant
inlassablement
nagent de sombres appétits

En dessous se dévorent d’insondables attentes
chargées de strangulations lentes
elles ralentissent
le tapis coulant
inlassablement
À ne respirer qu’un jour sur deux

Depuis longtemps dure cette étreinte
livrée à sa guise
aveugle et sourde
emplissant le vide
plaignant les ivresses insatiables

Où est la tête
pas dans le cœur
ça c’est sur
ça tambourine l’écorce

Qui n’a jamais rêvé de s’approprier son territoire
au lieu d’aller le chercher ailleurs
chez d’autres

Le tapis coule
inlassablement
et le vide s’emplit
insatiablement

Alerte
changement
reprise de souffle
bancale
claudiquant
suffocation dans l’espace
appel
à l’aide
plusieurs fois
sans y croire
à demander la lune
puis de la poudre d’étoiles
sans y croire mais quand même un peu

Toujours le tapis coule
inlassablement
sur de nouveaux rails
de séduisantes mélodies d’aiguillages
la tentation du vide s’émousse
les insatiables perdent du champ
les néons prennent des teintes moins blafardes
les rayons creusent plus profond
insinuent la chaleur
la concentre
caressent les ombres

Le crépuscule prend des airs d’aurore
colore le tapis coulant
inlassablement
les reflets se hérissent de frissons généreux
et le sourire du dedans répond aux merveilles du dehors



 
© Manu Rich, détail de Ride into the sun 2017
www.manurich.com
 

jeudi 28 janvier 2021

Mon palais idéal

Mon palais idéal se situe entre plume et écume
c’est une coquille de noix où se niche un duvet de dunes
l’on s’y berce et l’on y voyage avec souplagileté

Au fil du temps, de l’eau et des rencontres
l’on s’y retrouve et l’on y danse autant et plus
selon le nombre l’esquif évolue
de la modeste barque à fond plat calfatée d’eider
au trois-mâts goélette en bois flotté et fier
la coque se couvre d’un plumage rieur
le pont de vagues embrassantes
les cales pleines de volutes frémissantes

Toutes voiles gonflées
le bâtiment embarque ses passagers ailés vers des cieux étoilés
les uns attrapent au filet des écailles de feutre
d’autres des nuages de barbapapa
des pompons d’agneaux ou des bulles de laines

Arrivé au port
chacun offre ses trouvailles à l’escale du jour
la ville s’anime des caves aux toits
l’on s’y retrouve et l’on y danse

Le navire reprend le large
le vaisseau retrouve sa forme
le cœur respire son rythme

Et l’on s’y berce et l’on y palpite
autant et plus



© détail d’une aquarelle de Gabriel Lefebvre

mardi 26 janvier 2021

Le courage des oiseaux

L’arbre aux sansonnets se couvre de conversations crépusculaires
tourbillons de paroles
derviches sans têtes
les étourneaux en sont eux-mêmes étourdis
tous s’agitent
tous pérorent
leur logorrhée offre aux branches un feuillage sonore
la nuit les enveloppera bientôt dans son manteau de silence
tous s’inquiètent
tous pronostiquent
le jour reviendra-t-il
le froid les emportera-t-il avant l’aube

Leur équilibre est si précaire
leurs vies si fragiles
le gel du matin aura tôt fait de les briser comme des brindilles
les piaillements s’intensifient
la crainte double l’écorce
si l’arbre pouvait
il s’ébrouerait pour se débarrasser de cette gangue geignarde
mais les frêles âmes jacassent de plus belle
guettant la lune avant de glisser leur tête dans leurs plumes
ils ne manquent pourtant pas de courage
pour chanter dans le vent glacé
mais l’ombre qui s’abat sur eux les empêche même de se cacher
piteuses grappes grelottant dans la ramure

La nuit vient
elle en emporte quelques uns
demain ils seront moins nombreux
dommage que la mémoire leur fasse tant défaut
ils se rappelleraient que ce matin ils se sont réveillés
pour la plupart d’entre eux

Le fleuve quant à lui ne se soucie pas de ses têtes de linotte
il étire mollement ses flots
comme un jour d’eau plate
il a beau bouillonner parfois
ce n’est pas aujourd’hui qu’il débordera
oh bien sûr quelques saules vigoureux ont fait chanter leurs feuilles plus haut que d’habitude
l’onde a reflété ces soubresauts lumineux
mais ce ne sont que de rares larmes perdues au cœur de cercles brumeux
la surface oubliera instantanément leurs traces
pour laisser place à de plus nobles riverains

Alors auréolé d’or
l’horizon enflamme les eaux
dans les frondaisons s’éveillent des murmures sans crainte
fredonnant des airs paisibles et légers
la valse des étourdis reprend en longues écharpes veloutées
et le ciel s’enzèbre de volutes
pour sculpter dans l’air des lignes de vie
jusqu’au soir




(clin d’œil à Dominique A - Le courage des oiseaux
https://www.youtube.com/watch?v=Tfwf1Y5QfPA)

samedi 16 janvier 2021

Eaux de vie

Ce matin mon voisin a gardé son costume de nuit tout gris
et s’étire mollement dans son lit
Hier il était paré d’or
et pavanait dans la vallée
inondée de ses reflets d’argent

Enfant je jouais sur les bords de l’Eure
le temps passait sans souci
En quelques coups de pagaies
les pirates rejoignaient les indiens
À midi le papy de mon plus vieil ami nous régalait
de ses fameuses côtelettes grillées
On était les princes du Mississippi

Plus tard j’ai découvert le fleuve des rois
La Loire délavait ses tapisseries de sable
sous le regard de mouettes rieuses
et d’étudiants emplumés
J’ai suivi son cours jusqu’à l’océan
Gavée d’iode dans les marais salants
l’eau ma raconté des histoires d’oiseaux bleus et blancs
C’est un plaisir sans fin

J’ai rebroussé chemin
posé mes valises au bord du Rhin
Dans ses bras exotiques
je me suis laissé perdre
sous la généreuse canopée
Noisetiers géants
Peupliers démesurés
Lianes de clématites et lierre nourricier

J’aimais aussi flâner sur les quais de l’Ill
suivre son pas lent
traverser sa forêt
ponctuée de daims élégants
Le Ried m’aurait bien happé
fidèle ami
mais une brûlante source d’amour m’appelait

Bordées par le Rhône
les dorsales parées de buis du Bugey
m’ont longtemps hébergé dans leurs chaleureuses prairies
Puis j’ai quitté ma terre promise
pour suivre les méandres jusqu’à la capitale des gaules
Le fleuve est la respiration de cette ville
Il coule désormais sous mes fenêtres
tranquille
Parfois l’agitation du monde le rend tumultueux
ce soir je me bercerai de ces flots scintillants
mes rêves rejoindront alors le clapotis de ses berges en silence

Demain il atteindra son delta
je m’imprègnerai de ses possibles
puis je m’envolerai avec une compagnie de flamants roses
et nous irons ailleurs
chanter nos odes
à d’autres eaux de vie



© photo Laurent Dufour

jeudi 14 janvier 2021

T’en souvient-il

Te rappelles-tu t’en souvient-il
de nos rires de nos pleurs de nos meilleurs et de nos pires
Te rappelles-tu t’en souvient-il
de nos colères de nos oublis de nos pardons
Te rappelles-tu t’en souvient-il
de nos danses de nos rebonds de nos chansons
Te rappelles-tu t’en souvient-il
de nos richesses de nos ailleurs
Te rappelles-tu t’en souvient-il
de ces soubresauts de ces luttes de ces
petites victoires
Te rappelles-tu t’en souvient-il
du tissage de nos liens de ces si délicieuses fragrances de nos rencontres
Te rappelles-tu t’en souvient-il
de nos
modestes pas de coté de nos déambulations solitaires et recollective

FICHTRE

L’amnésie a-t-elle
les remords ont-ils
le silence s’est-il

Heureusement l’impulsion
heureusement l’aller et le retour
heureusement trois fois heureusement

Te rappelles-tu t’en souvient-il
du cliquetis de nos zébrures
des frissons de nos absences
de la jubilation de nos respirations furtives
Te rappelles-tu t’en souvient-il
de ce sentiment de déjà vu

Je revois tes yeux ébaubis
ils roulaient sur le fil de l’histoire
main dans la main
le cœur au bord de dire

Je la laissais filer
contemplant l’étain lustré
depuis la rive
et nous courions tous sur la berge
en liesse
accompagnant le mouvement
avec cette réminiscence d’envie
collective
joueuse

T’en souvient-il

 

détail de Reflets nocturnes © photo Sylvie Chaix