Les cris du jour ou l'écrit du jour ? C'est peut-être le texte de la semaine (et pourquoi pas de l'année ?!!!!)
directement sorti de mon inspiration poétique, où chacun est libre de traverser la frontière entre fiction et réalité...
Bonnes lectures !

mercredi 24 mai 2023

Mon petit carnet

Ce matin je me suis réveillé avec la bouche pâteuse. Hier, j’avais trop abusé de la pâte à papier. Comme j’avais égaré mon téléphone, avec lequel j’aime parler, parce qu’il a la langue bien pendue, j’ai soufflé mes mots à mon petit carnet. Sur mon stylo, un oiseau s’est posé. Il a tourné sept fois sa langue dans son bec, puis, la bouche en cœur, il m’a dicté un poème en langue des oiseaux. Nous y avons passé la nuit. À la fin, il avait le bec sec et je suis resté bouche bée. Malheureusement, je ne pourrai pas vous déclamer ce qu’il m’a offert, parce que, comme j’étais mal réveillé, au lieu de tremper ma tartine dans mon café, c’est mon petit carnet que j’ai mangé. Quant à l’oiseau, il s’est envolé.

 



Le lieu de mon poème #3

Mon poème m’enveloppe
il éclot à chaque chant d’oiseau
aux stridulations du fleuve le soir
à la lune montante
il hulule dans ma bulle

Mon poème fait des clins d’œil au soleil
de chaque nuage il s’émerveille
des sourires d’enfants
et des souvenirs défunts

Mon poème puise sa sève dans la vie
il palpite comme ces méduses qui chorégraphient les eaux
mon poème est aux cimes
mon poème est aux abysses
aux déserts
aux forêts
aux pierres
et aux petites et grosses bêtes qui peuplent les champs

Il m’enveloppe dans ces savoureux royaumes
comble mes nuits
égaye mes jours
s’invite à la table de nos amours

Je le bois à petites gorgées
ou à grosses lampées
selon les humeurs
il m’arrache parfois des larmes de crocodile
ou me brise le cœur
quand il me raconte des mondes sans avenir

Mon poème m’habite, m’habille et me transporte
il est mon squelette, ma peau et ma voix
il se faufile partout
tant que je lâche sa bride
il file au vent
claquant fièrement ses pieds
quel tempérament

Mon poème est dans cette fenêtre
à travers laquelle j’entends
la conversation des oiseaux
ils se racontent ce que disent les nuages
ils me bercent de leurs commérages

Parfois pourtant leurs voix tremblent
lorsqu’ils rapportent quelques rumeurs
l’un pleure sur la guerre
l’autre gémit sur la Terre
alors je ferme les volets
sourd aux pépiements du monde

Et je rejoins mes rêves d’ailleurs
des rives meilleures
les séjours ne durent pas
les photos jaunissent
seuls les murmures des vagues
me rappellent à la réalité

Les embruns s’évaporent
des sourires se croisent
et la vie remonte son cours
sans se soucier du sens ni du temps



lundi 22 mai 2023

Mes racines

Mes racines sont joyeuses
mes racines sont copieuses
joueuses
généreuses
nombreuses

Mon histoire est certes ancrée dans un terreau
mais surtout liée à des héros
ceux de mon enfance
celles et ceux qui ont jalonné mon existence

Mes ancêtres m’ont semé
et j’ai germé
puis poussé
sous l’œil bienveillant de mes aînés
toujours là pour moi
Oh bien sûr nous nous sommes chamaillés
mais les plus grosses bêtises
je ne peux que les assumer
Si j’ai quelques cicatrices à l’écorce
c’est à moi que je les dois

Puis j’ai décidé de me déraciner
j’ai regretté un temps
plus maintenant
J’ai lancé mes racines ailleurs
à l’Est
au Sud
dans la nature et dans le cœur
J’ai poussé encore
près de mes semblables
ils m’apportent tant
Mes racines parcourent la Terre
mes racines sont solidaires
parfois solitaires
elle plongent dans le désert et en pleine mer

Mon cœur est empli de sève
nourri de rencontres durables ou brèves
mon écorce s’est épaissie
mes pulsations varient
mes branches se solidifient
Ces dernières années j’ai commencé à récolter mes fruits
leurs graines s’enfoncent parfois elles aussi
j’apprends à les laisser s’enraciner
avec ou sans moi

Un jour je serai abattu
par le temps, le vent ou la vie
mes racines me succéderont un peu
et mes restes nourriront de nouveaux venus
mon âme vibrera peut-être encore
et mon esprit s’échappera
quelle importance
j’aurai bien vécu

J’ai rencontré tant d’enrichissants individus
grâce à eux mes racines puisent ce que mes yeux ne trouvent pas dans les nuages
pourtant il m’arrive de plonger mon regard dans de gros stratus
comme si ma vie s’enracinait dans un humus
Mais à bien y réfléchir
mes racines ne plongent pas qu’en haut ou en bas
elles fusent dans toutes les directions
tentaculaires
et je me souviens que je ne suis pas un arbre
mais un poulpe



© photo Julien Arnal

mercredi 10 mai 2023

Nouveau monde

 

L’autre jour, j’ai reçu un appel :

- allo ! Monsieur Houssier ?

- oui... bonjour...

- je vous appelle pour vous annoncer une bonne nouvelle : votre nouveau monde est arrivé !

- pardon ?

- oui, à la suite de votre commande, nous allons vous livrer dans la journée. Pouvez-vous me confirmer votre adresse s’il vous plaît ?

- bien sûr, mais je n’ai rien commandé.

- désolé Monsieur, mais notre serveur est formel et le livreur est en route. Peut-être avez-vous oublié, mais il y a quelques jours, vous vous êtes plaint que, je cite "vraiment tout va de travers ! S’il n’y tenait qu’à moi, les choses iraient bien mieux que ça ! Je commanderais un nouveau monde, ce serait vite réglé" ; fin de citation. Or, comme vous n’aviez pas décoché la case "Mes désirs sont des ordres", en acceptant les conditions générales de vente de votre nouveau téléphone, l’algorithme à validé la commande... voilà voilà.

- mais, mais, mais, j’ai dit ça en l’air, je ne veux rien changer du tout ! Je dois pouvoir annuler cette commande, non ?

- hélas Monsieur, le délai de rétractation étant passé, l’ancien monde va disparaître dès que vous aurez reçu le nouveau et nous espérons qu’il correspondra à vos désirs.

- mais comment pouvez-vous connaître mes attentes ?

- Hé bien, en compilant vos recherches sur internet, vos emprunts à la bibliothèque, vos achats en carte bleu de ces 25 dernières années, vos loisirs, les destinations que vous avez parcourues, et les opinions que vous avez émises en public et sur les réseaux, en sachant que vous êtes un homme blanc presque quinquagénaire, né au siècle dernier, nous avons préparé un monde à votre image. Je vous serai d’ailleurs reconnaissant de prendre un instant lorsque vous aurez reçu votre commande, afin de répondre à notre questionnaire de satisfaction.

- bon, je vous prie de m’excuser, mais cette plaisanterie a assez duré, je vais raccrocher, et je ne vous salue pas. Biiip !


Pffff... J’espère que c’est une blague parce que sinon on va passer notre temps à raconter n’importe quoi, à se balader au bord de la mer, à manger des huîtres et du chocolat, à vivre passionnément, à s’aimer tout simplement, et je ne suis pas sûr que ce soit du goût de tout le monde... bref, je vous laisse, ça fait trop longtemps que je ne suis pas allé danser !

 


 

Nouveau monde en vidéo :

 https://drive.google.com/file/d/1LN809GIikwbFgQ0sRLFa76n5NN5Y3_WQ/view?usp=sharing

samedi 6 mai 2023

Leçon de vie

C’est un bâton
c’est une brindille
ça ne bouge pas
ou alors à tâtons

un coup de vent
et ça part en vrille
quel mystère
est-ce un fantôme
est-ce un fantasme
non c’est le phasme

chez cet animal
à première vue
point de langue
des gestes pourtant
légers
délicats
une danse
lente
oscillante

le phasme parle avec les mains
prend des airs italiens
quand il mange ses pâtes
il ne met pas les coudes sur la table
ni ne coupe les cheveux en quatre
le phasme ne parle pas la bouche pleine
il ne parle pas non plus pour ne rien dire
lui

le phasme a le mot discret
il n’a pas la langue de bois
il manie la langue des sages
quand il montre la Lune
on regarde son doigt

le phasme est un ermite
qui nous rappelle qu’on n’a que ce qu’on mérite
comme son cousin le caméléon
il disparaît pour nous aider à saisir
les évidences qui nous échappent

tendez l’oreille humains ignorants
les paroles du phasme sont rares mais riches
à 50 ans
si t’as pas entendu la voix du phasme
ta vie ne vaut pas plus qu’un sarcasme

 

© aquaportail

Parole de plume

Ma parole
la bouche en cœur
le mot à la bouche
la bouche en cul de poule
je l’ai sur le bout de la langue
la langue bien pendue

Toutes ces expressions accrochées à mes lèvres
font frétiller les papilles de mon stylo à bille
avec son petit sourire en coin
il salive sur la page
tentant de graver son ramage
un stylo qui donne de la voix peut paraître étonnant
pourtant j’en connais beaucoup qui se lèchent le babines
à l’idée de noircir quelques lignes
le mien se lisse les plumes avant de décoller
mais parfois il reste au ras des pâquerettes

Qu’importe le carnet à mon stylo
pourvu qu’il ait l’ivresse
il lui arrive même de mentir et d’user de sa langue de vipère pour médire
il s’écoute souvent
beau parleur
comme si sa parole était d’or
alors que je l’aime autant quand il dort
son petit capuchon posé sur la tête
couvant en silence sa bille d’argent

Il rêve alors
à la langue
ah ! La langue
à la longue
elle pend jusqu’à mes tongs
à force de jongler
avec les mots
avec les phrases
avec emphase
les bras m’en tombent
ma langue reste muette
comme une mouette
ma langue goûte et partage
parfois elle s’emballe
pas toujours sage

La tourner sept fois ?
Pour quoi faire ?
Ce n’est pas un moulin à paroles
gardez-vous bien de lui imposer un rôle
ma langue traîne parfois des pieds
voire recule
mais c’est pour mieux sauter
bondir d’un chant à l’autre
rouler des mécaniques
ou danser sur d’autres continents
bras dessus bras dessous
avec mes oreilles
à la rencontre de sonorités ensoleillées
ou caverneuses
elles vagabondent rêveuses
admirent des voix de cornemuses
bavardent et s’amusent
savourent en claquant du palais
comme des talons dans la poussière
la langue a des accents de vie éphémère
sa contemplation est un jeu
qui ne s’arrête qu’en la donnant au chat