Les cris du jour ou l'écrit du jour ? C'est peut-être le texte de la semaine (et pourquoi pas de l'année ?!!!!)
directement sorti de mon inspiration poétique, où chacun est libre de traverser la frontière entre fiction et réalité...
Bonnes lectures !

jeudi 30 janvier 2020

Ainsi soit-elle

Ce n’est pas la ponctualité qui l’étouffe. Pourtant quand il s’agit de passer à table, elle est toujours en pole position. C’est une vraie midinette. Au boulot, elle veut toujours être la première à la cantine. Comme si elle voulait se placer au pied de la scène au concert de son chanteur préféré, elle a ça dans le sang. Dès le matin, Samantha se prépare. Elle choisit sa tenue et se maquille avec soin. Elle maîtrise son personnage. Elle fait partie de ces chargés de com qui plaisent autant au boss qu’aux secrétaires. Toujours un bon mot et prête à rendre service, elle passe dire bonjour à chacun en arrivant au bureau. À la pause café, elle apporte souvent un petit quelque chose à partager, galette par-ci, croissants par-là. Sa générosité naturelle encourage ses collègues à lui être agréables. Pour lui faire plaisir, ils la laissent par exemple s’installer la première à table. Tous les midis, elle choisit de préférence les légumes. Mais depuis quelques temps, elle a des envies de changement de régime : les endives ne l’attirent plus, les navets non plus. Elle ne va pas se raconter de salades, elle qui a toujours refusé de manger de la viande, elle s’en paierait bien une tranche !

Ce jour-là, un air de changement souffle sur la cantine. Un homme sandwich a été embauché pour faire la promotion de nouveaux produits de l’entreprise - des coupes faims. Ignorant les habitudes de la maison, il grille la place de Samantha. Elle manque de le mordre mais fait mine de l’ignorer. Cette réaction pique la curiosité de l’opportun, comme une mise en bouche. Cependant ce premier contact fait l’effet d’une soupe froide à Samantha. Les jours suivants, elle l’ignore ouvertement mais lui la dévore des yeux. Cela ne l’empêche pas de draguer toutes les employées. L’homme est friand de conquêtes. Malheureusement il ne s’aperçoit pas que la réciproque n’est pas vraie. Au contraire, les femmes qu’il tente de séduire se passeraient bien de ses avances. « Si au moins il était appétissant ! confie à Samantha une de ses collègues, mais on dirait un flan ! Même s’il avait le pouvoir de m’offrir une meilleure place, je resterais de glace ». Une autre ajoute : « Il me dégoute ! J’en ferais bien de la chair à pâté ». Hélas, le type insiste et harcèle même une secrétaire en particulier, moins combative que les autres.

Un soir, Samantha le surprend dans le parking souterrain en train d’essayer d’embrasser la jeune femme qui n’arrive pas à se dégager. Samantha libère sa collègue et remet le mufle à sa place. Il s’excuse, prêt à lui manger dans la main. « Elle doit être jalouse », pense-t-il, sûr de ses charmes. Samantha décide de profiter de la situation. Pendant que sa collègue file se remettre de ses émotions, la jeune femme gronde l’agresseur qui la regarde encore plus que d’habitude avec des yeux de merlan frit. « Vous savez que c’est très mal ce que vous faites ! le gourmande-t-elle. Il va falloir vous faire pardonner ! »

Le type fond complètement. Tout ce temps passé à tourner autour de toutes ces femmes, et la vie lui sert enfin sur un plateau la seule qui le met vraiment en appétit. Elle va passer à la casserole, pense-t-il. Il l’invite dans sa voiture où la promiscuité de l’habitacle les rapproche. Elle le laisse mijoter un peu tandis qu’il tente quelques baisers salés. Quand elle le sent à point, elle fait mine de bouillir et bientôt ils goûtent la peau l’un de l’autre. Finalement, ils font copieusement l’amour, mais quand il est rassasié, elle lui tord le cou ! Le craquement lui rappelle quand sa grand-mère tuait les lapins à la ferme. Ce souvenir ne l’arrête pas, elle a une faim de loup et n’en fait qu’une bouchée. Croisant peu après son regard dans le rétroviseur, Samantha passe machinalement sa main sur son visage couvert de sang. « Houlala, pense-telle, j’ai mangé trop vite. C’est toujours comme ça avec les en-cas, on se laisse vite aller à la fast-food mania. Enfin, moi qui n’aimais pas la viande, j’aurais pu déguster davantage. Quoique, je risquerais peut-être d’y prendre goût ! » conclut-elle en rognant des petits os entre lesquels il reste encore un peu à grignoter.



Nouvelle proposée au magazine La grenouille à grande bouche pour la thématique "Midinette et homme sandwich" (recalé... pas assez vegan sans doute ;-)