Les cris du jour ou l'écrit du jour ? C'est peut-être le texte de la semaine (et pourquoi pas de l'année ?!!!!)
directement sorti de mon inspiration poétique, où chacun est libre de traverser la frontière entre fiction et réalité...
Bonnes lectures !

jeudi 19 octobre 2017

Les canapés du temps

Soudain, les pattes d'un des deux canapés se mirent à trépigner d'impatience. C'étaient des banquettes en cuir brun, haut perchées sur des tiges métalliques, leur donnant une allure d'insecte. Depuis le début de la réunion, personne n'avait osé s'assoir sur ces sièges pouvant accueillir chacun trois personnes. Tous se méfiaient inconsciemment de ces étranges sièges dont le confort semblait suspect. Aucun n'aurait risqué de s'installer sur ces canapés qui auraient pu croquer quiconque ce serait aventuré sur leurs soi-disant confortables assises. Pourtant, quatre courageux désignés volontaires s'installèrent, malgré les ruades des deux canapés. Une fois posés, les individus assis semblèrent calmer l'impatience des canapés, dont les pattes s'immobilisèrent, et les quatre personnes assises, prirent des pauses invitant l'auditoire à attendre que l'une d'elle prenne la parole.

Le premier commença par dire qu'il n'avait pas le temps de rester, mais s'exprima pendant une heure sur la mesure du temps au fil des siècles. Pendant ce temps, un des orateurs tentait de se détacher d'un accoudoir un peu trop affectueux. Le canapé avait sournoisement commencé depuis le début de l'exposé à contourner le bras de cet homme, qui par politesse avait d'abord feint de ne rien remarquer. Puis, l'orateur s'emballant dans son discours, insistant sur la relativité du temps, le futur prisonnier tentait de se raisonner et de se rassurer quant aux intentions du fauteuil. Heureusement, le premier orateur conclut à cet instant son discours et donna la parole à l'homme qui trouva là l'occasion de se dégager et de se soustraire à l'étreinte inattendue.

Une fois debout, il se lança dans la description d'un ambitieux projet d'exploration des trous noirs, pour aller étudier, dans ces environnements inconnus, la façon dont le temps a une emprise sur le corps et l'esprit des voyageurs. Le canapé frustré s'était renfrogné mais n'avait pas abandonné son envie de croquer ses occupants. Il avait le temps pour lui. C'était une banquette patiente qui avait de quoi tenir un siège. Il entreprit alors d'avaler lentement une oratrice. Cette dernière, concentrée sur l'exposé de son collègue ne s'apercevait pas que le dossier commençait à l'envelopper comme une seconde peau. Elle réalisa trop tard que l'assise emballait ses jambes et l’enfermait de son bassin à ses pieds, quand le dossier acheva de recouvrir son visage, empêchant toute réclamation. L'auditoire, tout à l'écoute de la présentation des modalités d'exploration de l'espace temps dans l'antimatière, ne remarqua rien de la disparition qui se déroulait sous ses yeux, et le canapé, repu, repris sa forme initiale.

Quelqu'un pourtant dans l'assistance avait observé cette scène qui l'avait laissé sans voix, mais il n'eut pas le temps d'exprimer la moindre protestation car, comme l'ensemble de l'auditoire, il fondait littéralement et le public liquéfié se répandait sous les fauteuils, et cette flaque semblait aspirée par les deux canapés étranges. Pendant ce temps, les orateurs avaient tous été englobés par les banquettes, aspirés en effet par leurs pattes, qui étaient en réalité des pailles. La salle était vide à présent, et le silence fut un temps brisé par un soupir de satisfaction des canapés rassasiés. Ils allaient pouvoir attendre la prochaine conférence, en salivant d'avance aux délicieuses pensées dont ils pourraient alors se repaitre. Ils étaient déjà en appétit de la prochaine thématique : l'aménagement de l'espace de travail.


Production surréaliste apparue sur l’écran de mon portable, alors que j’assistais à une table ronde autour de la gestion du temps, organisée par ma coopérative d’activité préférée, Solstice, à Eurre, le jeudi 19 octobre 2017.

PS : tout est bien qui finit bien, car mon collègue Gilles Duron, restaurateur de fauteuils, et à l’œil expert, m'a fait remarqué que ces sièges affamés étaient dotés de fermetures Éclair, et nous avons pu libérer tous les avalés !