Les cris du jour ou l'écrit du jour ? C'est peut-être le texte de la semaine (et pourquoi pas de l'année ?!!!!)
directement sorti de mon inspiration poétique, où chacun est libre de traverser la frontière entre fiction et réalité...
Bonnes lectures !

vendredi 5 septembre 2014

Journal de rêve / en chantier... extrait #3

Vendredi 5 septembre
« -Y’en a un peu plus ! J’vous l’mets quand même ? »
Personnellement, je ne refuse jamais. Vous si ? Celle que je préfère c’est ma bibliothécaire, qui me glisse toujours un petit bouquin en plus dans le sac avant de quitter la médiathèque. « Ça, ça devrait vous plaire ! » Pas toujours… mais qu’importe ? Après tout c’est cette bonne intention de nos commerçants préférés qui fait que nous avons plaisir à retourner chez eux, non ? D’ailleurs, je me suis toujours demandé si les bouchers devaient suivre pendant leur formation initiale un module spécial pour apprendre quelques phrases magiques comme « Le temps est reparti au beau, hein ? » ou « Et il est parti en vacances ? » ou encore, s’adressant aux enfants « C’est pour qui le morceau de saucisse ? » ! J’étais justement en train d’entamer une liste de ces belles banalités dans ma tête en achetant une baguette quand un type menaçant entra dans la boulangerie. Il s’approcha de moi et je sentis qu’il pointait une arme sur moi à travers la poche de son imperméable. Je souris à la boulangère en lui tendant sa monnaie. Elle eut l’air surpris en voyant le monsieur me suivre de prêt et me raccompagner dehors sans rien acheter, mais elle ne dit rien, même pas « Bonne journée » !

Une voiture nous attendait dehors. Le type ouvrit la portière de derrière et me fit signe de monter sans un mot. Je n’avais pas d’autre choix que d’obtempérer. Il posa délicatement son chapeau sur la banquette entre nous deux pendant que la voiture démarrait. Je croisais le regard du chauffeur dans le rétroviseur. Pas l’air commode non plus. L’homme au chapeau me tendit un téléphone qui sonna et je décrochais. Une voix ferme m’informa que le transfert était en cours et que je n’aurais qu’à suivre gentiment les instructions et tout se passerait bien. Je me permis de demander de quel transfert il s’agissait. « De votre fils voyons ! Vous savez très bien qu’il doit être remplacé ! Ne faites pas l’idiot et tout se passera bien ». Puis il raccrocha. Mon voisin de banquette me tendit alors une pochette dans laquelle je découvris quelques documents. Une photocopie couleur de deux portraits identiques de mon fils. Sous chaque photo était inscrite une légende. « Avant » sous celle de gauche, « Après » sous celle de droite. Le deuxième document était une liste d’instructions à suivre pendant le transfert. Les autres feuilles étaient agrafées et un post-it était collé sur la première page « Pour la bonne marche des opérations, veuillez signer ce contrat et parapher chaque page ». Ce que je fis après avoir lu le document. Rien de particulier si ce n’est le paragraphe mentionnant que je ne chercherais jamais à faire obstacle ni à revenir sur cette démarche administrative imposée par la loi en vigueur qui consistait à remplacer un enfant sur deux cent cinquante mille après son troisième anniversaire. La liste d’instruction décrivait le transfert comme une simple formalité à laquelle l’un des parents devait assister pour accompagner son enfant et récupérer son remplaçant.

Je n’avais aucune intention de laisser faire cette bande d’olibrius mais je fis mine de coopérer. Notre voiture prit de la vitesse en montant sur l’autoroute et nous suivîmes bientôt un cortège de six gros véhicules tout-terrain noirs. Mon voisin utilisa son téléphone pour informer ses collègues que nous étions en place. J’entendis son interlocuteur répondre : « Parfait. Le colis est en deuxième position. Rendez-vous au chalet. » Un premier 4x4 emprunta la sortie suivante. Puis deux autres aux sorties prochaines. Nous n’étions plus que quatre véhicules lorsque nous quittâmes l’autoroute à notre tour pour emprunter une départementale sinueuse dans un environnement rural et vallonné. Je ne parvenais pas à quitter des yeux le deuxième véhicule. Je me demandais comment sortir mon fils de là lorsqu’à un carrefour deux camions s’intercalèrent judicieusement entre les trois véhicules de tête, dissimulant celui où devait être installé mon fils. Notre voiture pila et je n’eus pas le temps de réfléchir plus avant. Un autre camion barrait notre retraite et déjà des hommes cagoulés et armés entouraient les véhicules et intimaient l’ordre à leurs occupants de sortir. Mon chauffeur lâcha un juron dont le sens m’échappa : « Saloperie de Morcre ! ». Une fois dehors j’aperçu mon fils monter dans le premier camion. Les occupants des quatre véhicules furent immédiatement abattus !

J’étais encore sous le choc de cette exécution sommaire collective lorsqu’on me poussa fermement vers le camion où j’avais vu monter mon fils. Il se jeta dans mes bras et le camion démarra en trombe. Après avoir échangé une longue étreinte entrecoupée de rires et de larmes, l’un des hommes de la bande qui venait de nous libérer, ou de nous kidnapper, je ne savais plus trop où nous en étions, m’adressa la parole avec douceur : « Monsieur, j’ai le plaisir de vous annoncer que nous venons de mettre fin au remplacement de votre enfant. Je suppose que vous n’avez jamais entendu parler du MORCRE, le Mouvement de Résistance Contre le Remplacement des Enfants. Il s’agit d’un groupe qui lutte depuis quelques mois contre cette loi injuste qui a fait trop de malheureux depuis dix ans et vous êtes notre deuxième client. Nous allons vous emmener en lieu sur et vous allez pouvoir reprendre une vie normale.

Je n’en croyais pas mes oreilles ! Je venais peut-être à la fois de retrouver la mémoire et mon fils… ou pas ?!

Extrait de mon "Carnet de voyage au pays des rêves", projet en cours, inspiré par un cauchemar de mon fils, de mes propres rêves et de ceux de mon entourage, prétexte à faire évoluer un personnage comme bon me semble entre rêve, fiction et réalité.