Les cris du jour ou l'écrit du jour ? C'est peut-être le texte de la semaine (et pourquoi pas de l'année ?!!!!)
directement sorti de mon inspiration poétique, où chacun est libre de traverser la frontière entre fiction et réalité...
Bonnes lectures !

mercredi 3 mars 2010

Bouvard

Imaginez les traits qui caractérisent un personnage dont le nom est écrit sur un bout de papier, interviewez quelques uns des personnages choisis par vos collègues d'atelier, écrire sur l’un de ces personnages à la manière de Thomas Bernhard (sorte d’énervement fait de spirales, de ressassements énergiques…).

Et voilà que ça recommence ! Depuis les beaux jours ça n’arrête pas ! Du matin au soir, dès que les fenêtres du voisin s’ouvrent, la cacophonie démarre. D’abord la télé, assez forte pour être entendue depuis toutes les pièces de la maison sans doute, puis les portes qui claquent, les couverts jetés dans le tiroir d’un meuble certainement en formica et lorsqu’il a épuisé tous ses instruments de cuisine, les appareils ménagers et rangé sa caisse à outils il se met à maltraiter son vieux piano qui au passage ne doit pas avoir une seule corde convenablement tendue, à moins que ce ne soit les feutres des marteaux qui ont tous disparu ?

Ce bruit incessant dure tout le jour, jamais un silence, parfois il tousse, grommelle puis crache, il aurait la tuberculose que ça ne m’étonnerait pas. Jamais je n’aurais imaginé un tel raffut cet hiver lorsque j’ai visité la maison. Le quartier était calme, la maison d’à côté semblait vide et je me souviens maintenant que les fenêtres étaient fermées, sans doute à cause du froid qui gelait tout ce jour là. Evidemment l’agent immobilier s’était bien gardé d’évoquer les penchants sonores de mon futur voisin et m’avait plutôt vanté la qualité de vie dans le quartier, le plaisir que j’aurais à profiter du jardin l’été, le léger clapotis de la rivière qui coule en bas du terrain. Cet escroc avait même trouvé l’opportunité de me préciser que M. Bouvard, mon voisin, vivait seul, sans enfant et avait semble-t-il de bons rapports avec les autres voisins. Forcément, leurs terrains sont tellement grands qu’ils habitent à 500m et en plus d’épaisses haies les protègent du vacarme.

Ce que mon agent immobilier avait également omis de me préciser il y a quelques mois lorsque j’avais visité ma future maison c’est que M. Bouvard a des neveux qui ont hérité des gènes musicaux de leur oncle. Leur plus grand plaisir est de massacrer les airs les plus connus avec tonton qui n’a définitivement aucune oreille musicale (en a-t-il seulement une tout court ?!), et ce, à grand renfort de guitares électriques et d’amplis saturés qui, malgré la hauteur vertigineuse du volume ne parviennent pas à couvrir le martèlement sauvage du piano déraillé de mon cher voisin.

Ce type est probablement fou. La seule fois où je l’ai croisé (il sort très peu et visiblement ne profite pas de son jardin en friche), son regard perdu m’a glacé d’effroi.

Je n’en peux plus. Je ne vais pas supporter ça tout l’été, ni les suivants d’ailleurs ! Haaa ce bruit ! Cette télé ! Ce piano ! Pitié !!!

Je ne vais quand même pas déménager, je viens de m’installer et puis de toute façon je n’aurais pas les moyens avec les frais du déménagement, la caution, etc. Et puis je me vois mal aller lui parler, il me fait carrément flipper et peut-être qu’il est sourd vu comme il joue.

Et si je m’en débarrassais ? Elle a l’air profonde cette rivière…

Atelier d’écriture animé par Emmanuelle Pireyre -
Saute Frontière/Médiathèque de Saint Claude - 3/3/10